L’histoire :
En l’an 64, Zacharie de Tyr, un jeune scribe, débarque dans un port animé de Silicie. Il traverse la ville en se faisant indiquer le quartier juif, où il cherche à rencontrer le vieux Aaron ben Godard, un marchand d’huile. Il le trouve et lui demande à mots couverts de lui raconter l’histoire d’un homme que le vieux juif a jadis bien connu : Yeshua de Nazareth, le messie, le fils de Dieu. Aaron se marre : « Le fils de Dieu ? N’importe quoi ! ». Le vieux mène alors le scribe dans un bar grec. Et contre la consommation de plusieurs pichets de bon vin, il se met à lui narrer, en araméen – une langue que personne ne comprend dans cette gargote – son témoignage sur Yeshua. Mais Aaron prévient le scribe : la vérité nue ne sera pas du goût de la majorité des gens qui se disputent en interprétant l’enseignement soi-disant prônée par Yeshua. Yeshua était donc le premier fils de Joseph, un vieux charpentier qui ne l’aimait pas trop. Et pour cause, ce père s’était marié contre une très forte dote avec Marie, une jeune femme issue d’une famille respectable de Nazareth, mais mise enceinte par un bonimenteur de passage. Yeshua était son bâtard, il le traitait donc comme un bâtard. En ce temps, la Galilée était déjà sous administration romaine. Les habitants se résignaient à cette occupation, en espérant qu’un messie viendrait les sauver. Yeshua allait alors rencontrer des gamins fortiches en système D. Jacques, Pierre, André, Philippe… Ensemble, ils allaient former une sacrée bande de potes et apprendre des tours intéressants auprès d’un gueux manchot, magicien de rue…
Ce qu’on en pense sur la planète BD :
Vous êtes allé au catéchisme et vous avez retenu la plupart des paraboles religieuses sur la vie de Jésus ? Hé bien accrochez-vous au cocotier, car l’auteur slovène TBC (de son vrai nom Tomaz Lavric) nous en offre ici une relecture sévèrement désacralisée, laïque et cartésienne. Malgré l’importante littérature sur le sujet, rarement un auteur en a en effet imaginé un contrepied aussi culotté et néanmoins pertinent. Et rien que ça, c’est énorme. Jésus est donc appelé Yoshua, ce qui atténue quelque peu le sentiment frontal de sacrilège. Il est présenté comme le fils bâtard d’un charpentier, un petit malin, magouilleur et manipulateur, parfois lâche et nonchalant, qui élabore avec une bande de potes (qui deviendront les apôtres) des tours de magie (marcher sur l’eau, changer l’eau en vin, guérir les aveugles…) pour faire croire qu’il est un thaumaturge, s’assurer rentes et égards, et grimper dans l’ascenseur social. Hélas pour lui, le manipulateur sera manipulé et finalement dépassé par ce rôle de composition. Sans doute, cette version de la vie de Jésus heurtera les croyants et les dévots, qui considèreront l’œuvre comme blasphématoire. Heureusement pour TBC et pour l’éditeur Mosquito, les fatwas n’ont plus trop cours dans la religion chrétienne. Or pour être honnête, cette vision des choses ne cherche pas précisément à être anticléricale. TBC cherche juste à se raccorder aux mœurs réelles de l’époque, à une interprétation plausible et factuelle de ce qui a pu se passer, « probablement ». Après tout, les Saintes Ecritures ont authentiquement été rédigées 380 ans après JC, soit au terme d’une transmission de plusieurs générations de conteurs, qui ont largement eu le temps d’en gonfler le potentiel légendaire. L’intention relativiste de TBC est réussie et méritoire, dans le sens où elle est mise en scène dans un décorum historique méticuleux, prenant forme d’un noir et blanc somptueux, et qu’elle s’appuie sur une psychologie de personnages cohérente et crédible. Les dialogues contemporains jouent pleinement leur rôle. Certaines larges cases animées sont virtuoses (les noces de Canaan, Judas le galiléen, les marchands du temple, les crucifiés sur le Golgotha…). Notre point de vue est vraiment enthousiaste sur cette œuvre, réunissant l’équivalent de 3 fois 46 planches (cela était semble-t-il prévu pour être édité en courte série de 3 tomes). Mais il se situe en amont de toute appréciation iconoclaste d’un côté, ou œcuménique de l’autre.